« Le taux de change n’est en fin de compte que le pur produit des forces et faiblesses de l’économie nationale, d’où l’importance d’en consolider les atouts et d’en circonscrire les faiblesses« , a déclaré, mercredi 31 janvier 2018, le représentant de la Banque centrale de Tunisie, Ahmed Tarchi.
Participant à un séminaire organisé à Tunis, par l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) et la fondation allemande, Konrad-Adenauer Stiftung, sur le thème « la crise du dinar tunisien : état des lieux et perspectives« , il a souligné que « si la décision du flottement de la monnaie a été prise par nombre de pays en crise, comme étant le seul rempart contre l’épuisement de leurs réserves de change, la Tunisie n’est pas du tout dans cette situation. Nous n’avons pas une pénurie en devises. Le stock des avoirs en devises reste à un niveau rassurant, au vu de notre capacité de mobilisation des financements extérieurs via le canal multilatéral ou sur le marché international des capitaux. La maitrise des déficits jumeaux, la relance de la croissance et la poursuite des réformes structurelles sont les gage de cet élan« .
Toujours selon lui, « pour réunir les conditions du rétablissement d’une croissance économique pérenne, et stabiliser par conséquent le dinar d’une manière structurelle, il serait primordial que le pays adopte une vision et une démarche volontaristes focalisées sur la stabilisation macroéconomique et notamment sur la maitrise des déficits jumeaux« .
A cet égard, « des actions prioritaires devraient être mises en œuvre, dont le redressement de la productivité de l’économie à travers la contribution de tous ses facteurs ( travail, capital et technologies), la définition de manière claire de politiques sectorielles qui doivent assurer la diversification de la base des exportations en renforçant les industries manufacturières et toute activité innovante et abaisser les importations« , a-t-il précisé.
Il s’agit également, toujours selon lui, de « redéfinir les modes de gouvernance des entreprises publiques sur la base d’un nouveau business-modèle basé sur la performance, de maitriser la consommation grandissante et à première vue incompréhensible de l’énergie qui demeure sans commune mesure avec la lenteur du rythme de croissance du PIB, de réviser la politique commerciale y compris celle relative aux franchises, de réactiver avec tous les pays partenaires, les mécanismes de l’indice de coopération industrielle qui consacre le principe de l’importation contre l’exportation, et de réprimer la contrebande et le marché parallèle, à travers l’application de la loi et de sanctions sévères et effectives« .
Tarchi a encore fait savoir que « la politique de change adoptée par la BCT cherche à maintenir la valeur du dinar dans une trajectoire d’équilibre réel qui tout en favorisant une croissance saine, reflète les fondamentaux économiques du pays et ses équilibres intérieurs et extérieurs. Ceci implique que le dinar s’affaiblit lorsque les déséquilibres extérieurs s’accentuent et se raffermit et s’apprécie à mesure que l’on redresse ces déséquilibres« .
De son côté, l’ancien directeur général de la BCT Mohamed Salah Souilem a affirmé, dans une déclaration à l’agence TAP, que « le taux de change est l’indicateur le plus important dans une économie, parce que toute variation de ce taux affecte toutes les importations (biens de consommation, biens d’équipements) et se transmet à l’économie« .
Et de poursuivre « toutefois, la période de transition, qui n’est pas encore à sa fin, a induit des dérapages économiques énormes : affaissement de la croissance, montée des déficits courant et budgétaire, hausse de l’endettement public, augmentation de l’endettement extérieur…, et partant, du taux de change étroitement lié aux fondamentaux de l’économie. Sur les 7 dernières années, le dinar a perdu plus de 40% de sa valeur par rapport au dollar et plus de 35% par rapport à l’euro. Cette baisse a touché pratiquement, toutes les cotations des devises étrangères par rapport au dinar« .
A la question de savoir si on a atteint le taux de change d’équilibre et résorbé cette surévaluation du dinar, Souilem pense que « le dinar tunisien est une monnaie qui n’est pas du tout chère, les perspectives ne peuvent être que meilleures surtout en perspective de la reprise de la croissance et de certains secteurs pourvoyeurs de devises (phosphates, énergie, tourisme, agriculture) qui ont vu leur recettes en devises chuter« .
« Je reste persuadé que le dinar ne peut que s’améliorer dans un avenir proche pourvu que la psychologie du marché qui est un autre déterminant important du taux de change, sorte d’un pessimisme exagéré, à un optimisme réaliste. Les perspectives du dinar tunisien sont beaucoup plus vers la stabilisation, si ce n’est une légère appréciation« , a-t-il insisté.
Cela implique, selon lui, « la responsabilité de l’ensemble des acteurs. Les banques, elles, doivent constituer une sorte de bouclier par rapport au dinar, la BCT doit continuer à être présente sur le marché pour l’irriguer en devises en cas de besoin. L’Etat doit, de son côté, faire en sorte qu’il y ait une meilleure maitrise de l’endettement public et extérieur et une plus grande rigueur en matière de gestion des finances publiques. L’ensemble de ces éléments pourrait contribuer à réduire le déficit courant et le déficit budgétaire et à améliorer le stock de réserves de la Banque centrale qui constitue la force de frappe de la banque centrale sur le marché« .
Pour sa part, le membre fondateur et membre du comité stratégique du Cercle des Financiers Tunisiens, Nabil Chahdoura, interrogé par la TAP, a estimé « qu’un glissement du dinar ne peut être qu’inquiétant étant donné son impact sur l’inflation importée. Son impact positif sur la compétitivité, reste toujours à prouver parce que le dinar glisse depuis des années et nous ne voyons encore pas d’impact sur le niveau des réserves et sur les exportations« .
Chahdoura estime que « l’action ne devrait pas toucher au dinar, n’étant que le miroir de la situation économique. Il faut s’attaquer aux paramètres et agrégats économiques ayant causé cette dépréciation du dinar. Tous les efforts doivent être concentrés sur la réduction des déficits jumeaux. Pour cela, il faut travailler sur les canaux de l’amélioration de l’épargne nationale et de l’attractivité pour les fonds étrangers mais également sur l’amélioration de la gestion et de la gouvernance de l’administration publique en termes de dépenses de fonctionnement« .
Interrogé sur le rôle de la BCT, à cet égard, il a précisé que « la Banque Centrale joue le rôle de l’équilibriste entre une volonté de calmer la tendance inflationniste due au glissement du dinar et une volonté de garder un certain niveau de compétitivité du dinar pour assurer un niveau de réserves intéressant . Mais je pense que l’institut d’émission est trop allé dans le sens de la flexibilité sur le dinar. A ce titre je dirais qu’ Il faut avoir un glissement dosé, contrôlé, pour qu’on puisse donner le temps aux agrégats économiques de s’améliorer avec des batteries de lois, de stratégies et de politiques adéquates ».