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Le président du CFT a sa petite idée sur la fortune qu’amassent les banques

L’augmentation des concours bancaires à l’économie a dépassé la croissance du PIB, de 10 fois en 2017, dans un contexte économique difficile. L’universitaire et président du cercle des financiers tunisiens (CFT), Abdelkader Boudriga, explique dans une interview accordée à l’Agence TAP les performances réalisées par certaines banques de la place, par « l’essor des crédits aux particuliers, le relèvement des marges d’intermédiation, la hausse du rendement des bons du Trésor, mais également par la défaillance de tout le cycle économique, qui contraint les entreprises à recourir aux banques, à des conditions très avantageuses pour ces dernières« .

Boudriga propose des solutions à même de résoudre les difficultés rencontrées par les petites banques et les banques publiques.

Comment expliquez-vous les performances réalisées par certaines banques de la place, malgré la morosité de la conjoncture économique et financière ?

Depuis quelques années, les banques les plus performantes continuent à enregistrer une forte croissance de leur produit net bancaire (PNB), souvent à deux chiffres et ce malgré une conjoncture économique morose.

L’amélioration de la performance des banques tunisiennes s’explique en premier lieu par l’augmentation soutenue des concours bancaires à l’économie, atteignant un taux de croissance de 20% en 2017, qui dépasse le taux de croissance du PIB (10 fois, en 2017). Ceci traduit une dépendance accrue de l’économie des financements bancaires, qui s’explique en partie par les besoins de financement accrus des entreprises, souffrant de difficultés de trésorerie, résultant de défaillances liées à la gestion des investissements et des dépenses publiques (retards de paiement et reports d’exécution).

D’un autre côté, les banques ont toujours financé les crédits aux particuliers (crédits de consommation ou immobiliers) considérés pendant longtemps comme étant le segment le plus performant et le moins risqué. Ce segment a bénéficié durant les 6 dernières années d’un essor remarquable porté par les augmentations salariales et les recrutements massifs dans la fonction publique. C’est l’une des raisons pour laquelle ces grands groupes bancaires réalisent de bonnes performances.

En plus du segment particulier et professionnel, le système bancaire a massivement financé le déficit public, à travers les bons du trésor, à des taux très généreux qui ont dépassé l’an dernier 7,2% pour les dernières sorties, des taux alléchants à un risque très faible.

Cette augmentation traduit également, une amélioration des marges d’intermédiation expliquée par une hausse des risques des débiteurs.

La forte dépendance du financement bancaire résulte du cycle économique proprement dit et des difficultés trouvées par l’Etat, à honorer ses engagements avec certaines entreprises, dans le cadre des marchés publics.

En d’autres termes, l’économie est aujourd’hui en difficulté, en raison de la défaillance de tout le cycle économique. Si l’Etat peine à se financer, c’est à cause notamment de son incapacité à collecter l’impôt, des déficits cumulés par les entreprises publiques, mais aussi, des fortes augmentations des salaires de la fonction publique. L’Etat se trouve dans l’incapacité d’honorer ses engagements avec les entreprises, les contraignant ainsi à recourir aux banques, à des conditions très avantageuses pour ces dernières.

S’agissant du secteur bancaire dans son ensemble, il faut faire la distinction entre trois réalités ou sous-groupes. Il y a d’un côté les grands banques privées qui sont assez performantes et assez solides, et de l’autre les banques publiques dont la réalité est différente mais qui commencent toutefois à réaliser des performances assez positives. Enfin, il y a les petites banques avec des parts de marché inférieures à 1%, dont certaines ont enregistré de grandes pertes ces dernières années. Paradoxalement, les secteurs les plus risqués sont toujours financés par les petites banques, qui sont à la recherche de parts de marché dans un contexte très concurrentiel.

Vous avez évoqué le financement de l’Etat par les banques, à travers les bons du trésor. Trouvez-vous normales ces ponctions faites par l’Etat, sur l’argent disponible chez les banques ?

L’arbitrage n’est pas facile à faire entre le financement de l’Etat, à partir du marché local ou de celui international. La première option, crée une sorte d’effet d’éviction parce qu’il s’agit d’une ponction sur la liquidité disponible dans le système bancaire, et qui devrait normalement, servir à financer les entreprises et l’économie. Mais en même temps, cette option préserve des variations du taux de change parce que les sorties sur le marché international avec les perspectives de dépréciation du dinar, entraînent une forte augmentation de l’encours de la dette publique, et partant du service de la dette.

Le vrai paradoxe en Tunisie, c’est que le budget de l’Etat qui doit normalement croître à des taux proches de celui de l’inflation, a enregisté, annuellement, durant les 7 dernières années, une croissance avoisinant les 10%, alors que l’inflation évoluait autour de 5%. Le problème c’est que ce différentiel de croissance, ne résulte pas d’une augmentation des programmes d’investissements mais, plutôt, de l’augmentation des salaires.

Le trend haussier rapide de l’endettement de l’Etat a servi à couvrir ses dépenses. Cette situation est d’autant plus inquiétante, que les banques se refinancent auprès de la Banque centrale, pour prêter à l’Etat.

Ne voyez-vous pas en cela une sorte de financement déguisé de l’Etat, par la Banque centrale ?

Légalement, la Banque centrale a le statut de prêteur de dernier ressort. Elle ne peut pas refuser à une banque une demande de refinancement qui répond à toutes les conditions légales. Tout ce qu’elle peut faire, c’est durcir les conditions de refinancement pour limiter ses niveaux et je pense que la dernière augmentation du taux directeur s’inscrit dans cette logique.

On ne peux donc, pas tout reprocher à la Banque centrale dans cette question de refinancement des banques. C’est à l’Etat de définir les conditions de son financement mais aussi, ses priorités.

Certains analystes estiment que l’économie tunisienne s’est transformée en économie de rente, sapant tout espoir de création de valeur. Qu’en pensez-vous ?

La transformation de l’économie tunisienne en économie de rente, ne date pas d’aujourd’hui. Après une période de totale dominance par l’Etat des rouages de l’économie, durant les années 60, ce système a commencé à montrer ses limites, au début des années 70.

L’expérience d’ouverture économique a été entamée sous Hedi Nouira, à travers la loi 72 et la création de banques de développement, pour accompagner les nouveaux promoteurs. Mais l’Etat a toujours gardé un rôle prépondérant, jusqu’au changement politique de 1987, qui s’est inscrit dans l’esprit du  » consensus de Washington  » fondé sur la limitation de l’intervention de l’Etat, aux activités stratégiques.
En 2006 et 2007, les limites de ce système ont commencé à se faire sentir avec l’émergence d’une véritable économie de rente, profitant aux acteurs économiques proches du pouvoir, laquelle est caractérisée par une faible valeur ajoutée et une distribution inéquitable des richesses.

Ce contexte économique n’a pas permis à de nouveaux champions nationaux de voir le jour. Les banques ne prêtant qu’aux entreprises performantes ou aux activités non productives, notamment le secteur immobilier.

Cette logique de rente renforcée par une législation favorable à une certaine catégorie d’entrepreneurs, souvent en situation de monopole, a fait que pratiquement, tous les grands groupes ont adopté des stratégies d’intégration horizontale, en diversifiant leurs activités dans les secteurs les plus rentables (santé, immobilier, hôtellerie, services financiers…).
Verrouillé et fermé à toute nouvelle initiative, le système économique est dès lors devenu incapable de créer la valeur et les emplois.

Pourtant, la croissance et le développement économique passent inévitablement, par le renforcement et la promotion de nouvelles entreprises, et tant que nos politiques publiques et notre réglementation ne vont pas dans ce sens, sortir de cette logique de rente sera difficile.

On ne peut pas, à ce titre, reprocher aux banques d’être réticentes à financer les entreprises et l’économie, car les banques sont au final des entités économiques dont l’objectif est de maximiser la valeur. Si on leur demande de financer des entreprises qui ne sont pas viables parce que l’écosystème global ne le permet pas, elles ne vont pas le faire. Le vrai problème n’est pas à au niveau du financement bancaire, mais au niveau l’écosystème rentier qui étouffe les nouvelles initiatives.
Sortir de cette philosophie de rente reste tributaire d’une véritable volonté politique de lancer des stratégies de promotion de la création de valeur.

Pensez-vous que les performances réalisées par les banques reflètent leur bonne santé, ou est-ce juste des performances conjoncturelles ?

Pour les banques les plus performantes de la place, qu’il s’agisse de groupes privés tunisiens ou de banques affiliées à des groupes internationaux, leurs indicateurs financiers positifs reflètent une certaine maîtrise de l’industrie financière et une volonté de suivre les standards internationaux.

Quelles sont les solutions possibles aux difficultés que rencontrent les petites banques ?

Je pense que le réel problème pour ces banques, c’est que notre système bancaire a toujours été fortement protégé par l’Etat, qui a permis de maintenir ces banques en vie, malgré tous leurs dysfonctionnement.
Aujourd’hui, le régulateur a changé de vision et les petites banques ne peuvent plus survivre de la sorte. Il va y avoir inévitablement, des mouvements de fusion, de regroupement de ces banques pour avoir une taille qui leur permet de faire face à la concurrence mais aussi de se conformer aux nouvelles exigences de l’industrie financière. Il y aura peut-être, également, des mouvements de rachat de certaines de ces banques, par les grandes banques dans les 5 années à venir. Autrement, ces banques seront condamnées à disparaître.

Et pour les banques publiques ?

Les banques publiques sont une réalité à part, elles sont en train de se transformer et je pense que l’Etat gagnerait à clarifier sa position envers elles. Politiquement et socialement parlant, il sera difficile d’envisager une privatisation de ces trois banques : STB, BNA et BH.
Il ne s’agit pas uniquement d’un problème de mode de gestion, de flexibilité et d’autonomie de décision. Tant que l’Etat et les ministères de tutelle ont la mainmise sur les conseils d’administration et la nomination de directeurs généraux et tant que les banques publiques sont soumises aux règles de passation de marchés, de recrutement… , alors qu’elles opèrent dans un environnement de concurrence, elles continueront à avoir des problèmes.

A mon avis, l’issue possible pour ces banques serait non pas de les privatiser, mais de faire passer la propriété de l’Etat sous les 50%, à 49%. Ainsi, ces banques ne seront plus soumises au cadre réglementaire contraignant de passation de marchés, de fonctionnement et de gestion publics, ce qui leur donnera les moyens d’être plus efficaces.

Cette solution permettrait de faire de ces banques, de vraies locomotives de développement avec tout le patrimoine dont elles disposent. C’est un changement de paradigme qui impactera toute la physionomie du paysage bancaire mais qui demande une réelle volonté politique.

TAP

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