Le combat contre la corruption a donné à Youssef Chahed ses premiers galons de chef de gouvernement et est la source, en grande partie, de sa popularité, quoiqu’en baisse ces derniers mois. Va-t-il capitaliser sur ça en 2019, au rendez-vous électoral ? Rien ne le garantit pour le moment, même si Zohra Idriss et Leila Chettaoui elles y croient dur comme fer. En attendant Chahed travaille son image et peaufine sa stature, en annonçant, par exemple, samedi 8 décembre 2018, la promulgation prochainement de deux décrets réglementaires relatifs à la loi n°10 de 2017 sur le signalement de la corruption et la protection des dénonciateurs. Deux précieux outils dans l’arsenal du gouvernement pour aller plus loin que les combats gagnés, ou presque, contre Chafik Jarraya, Yassine Channoufi, etc, des faits d’armes qui restent symboliques au regard de l’ampleur de la corruption dans le pays. Chahed certes a mis sur les rails d’autres dispositifs qui peuvent rapporter gros pour l’économie nationale, et soigner au passage sa cote personnelle : Le plan pour améliorer le classement « Doing Business », la batterie de mesures pour freiner la fraude fiscale… Mais le fait est que ces programmes demandent du temps pour donner des résultats, au moins quelques années, or le chef du gouvernement a besoin de succès tout de suite, un bilan qu’il pourra présenter en 2019 quand il rendra son tablier pour éventuellement s’engager dans l’arène politique. La lutte contre la corruption, avec ses arrestations spectaculaires, a au moins cette vertu : Elle frappe les esprits, et ça c’est de l’or pour un politique.
Il a bien flairé le coup
Chahed a pris la parole au 3e congrès national de lutte contre la corruption, qui a eu lieu les 7 et 8 décembre 2018 à l’initiative de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC). Il a insisté sur l’engagement du gouvernement à aller de l’avant sur la voie de la lutte contre la corruption et l’instauration de la gouvernance. Il a assuré que les différents intervenants; gouvernement, société civile, médias et organisations internationales poursuivront leurs efforts dans ce sens, dans un esprit de coopération et de partenariat, rapporte la TAP. Bon, ça c’est pour l’habillage, l’affichage, car la traque contre les corrompus et corrupteurs n’emballe pas grand monde, et pour cause : Beaucoup en croquent. Mais ça Chahed ne peut pas le dire, ce ne serait pas politiquement correct, alors il fait dans la méthode Coué, en se disant qu’à force de le marteler, la mayonnaise finira peut-être par prendre. Si ce combat était aussi populaire que le dit le chef du gouvernement, le président de l’INLUCC, Chawki Tabib n’aurait pas autant de mal à mettre la main sur les déclarations de biens, celles des responsables comme celles des professions jugées sensibles.
Dans son intervention, le chef du gouvernement s’est dit convaincu que la lutte contre la corruption est l’une des conditions pour la consécration de l’Etat de droit et la consolidation du processus démocratique. Il a rappelé le nombre indéniable de projets de loi en rapport avec la lutte anticorruption et le renforcement de la gouvernance soumis au Parlement et adoptés, depuis la prise de fonction de l’équipe gouvernementale.
Le peuple tunisien qui est parvenu à asseoir un régime démocratique et à adopter une Constitution garantissant les droits et libertés et favorisant une vie politique pluraliste aspire, aujourd’hui, à édifier une société débarrassée de la corruption, du népotisme et de la malversation, a-t-il soutenu. Le même peuple qui n’est pas étranger à cette petite corruption qui gangrène le pays, partout, mais tant qu’il y a la grande corruption, toutes les consciences sont tranquilles et la morale est sauve. Mais ça aussi Chahed ne peut pas le dire…
La « bonne » délation, et payée en plus !
Depuis l’adoption de la loi sur le signalement de la corruption et la protection des dénonciateurs, l’INLUCC a, à maintes reprises, appelé à la promulgation des deux décrets réglementaires prévus par cette même loi afin d’activer l’opération de signalement de la corruption et de l’encourager en plus de la protection des dénonciateurs.
Ces textes accordent des incitations aux structures en charge de la prévention de la corruption, définissent les mécanismes et les critères d’octroi de récompenses aux dénonciateurs qui ont pu empêcher des crimes de corruption dans le secteur public, dévoiler ses auteurs et permis de restituer les fonds extorqués.
Tabib a, de son côté, affirmé que la Tunisie avance « sûrement » sur la voie de la gouvernance et la lutte contre la corruption. Il a ajouté que des pas importants ont été accomplis dans ce sens tant au niveau institutionnel que législatif. Cette fois au moins il n’aura pas à s’époumoner et à courir dans tous les sens pour avoir ses déclarations de patrimoine, comme il l’a fait dernièrement à l’ARP pour aller débusquer des députés qui ont voté la loi anticorruption sans se faire prier mais qui en sont restés là, trainant les pieds jusqu’à l’expiration des délais pour déclarer leurs biens. Avec ces deux décrets, la machine va générer son propre carburant, plus besoin de l’alimenter, ça va rouler tout seul ! Dénoncer son patron, son collègue, son subalterne en étant calé dans son fauteuil, derrière son ordinateur, pour balancer un mail dont on est sûr que l’anonymat sera préservé pourrait devenir très vite un sport national. Je ne vous raconte pas l’ambiance dans les lieux de travail. La délation, mais la bonne délation, celle qui fait primer l’intérêt national, et si en plus on est payé pour ça, que demande le peuple !