Telle une traînée de poudre s’est-elle propagé, l’annonce a fait l’effet d’une bombe dans les milieux initiés, la rue tunisienne et l’annexe de la BCT où loge la Ctaf (Commission Tunisienne des Analyses Financières). Une descente, administrative (Police fiscale) et judiciaire, fracassante qui s’était soldée par l’arrestation, vendredi dernier vers 17 heures, de la SG de la CTAF. Cette dernière a été certes depuis relâchée, mais demeure l’objet d’une enquête, avec toutes précautions judiciaires et frontalières imaginables.
- La théorie du Tank et de la mouche
En dehors du fonds de cette affaire, qui n’est pas l’objet de notre article, mais son déroulement dans le silence officiel. Cela, car personne ne le connait pour l’instant et car personne nul autre que la justice n’a les tenants et les aboutissants de cette descente qui pourrait être une perquisition, origines qui seraient des dossiers d’un autre ministère à la tête de la Ctaf, et ses implications.
Telle qu’ayant été menée, selon les informations parcellaires qui nous sont parvenues, cette affaire pourrait éventuellement présenter, des risques pour la stabilité financière, la réputation internationale et la gouvernance de la Tunisie. Des risques, en plus de l’atmosphère délétère, désormais installée dans les locaux du Musée de la monnaie où siège la Ctaf, et même dans les couloirs de la BCT, qui n’aurait même pas été mise au courant avant la descente policière et l’arrestation de la SG de la CTAF, dont le petit staff est sous le choc et perd toute envie de travailler et de participer à la « guerre de libération » présidentielle.
Une autre manière de gestion de cette affaire par les autorités, avec une enquête plus approfondie sur les premiers éléments financiers déclencheurs de la descente policière, et plus de discrétion, aurait été déterminante pour minimiser ces risques et préserver la confiance des partenaires économiques et financiers du pays.
Le spectre de 2018, lorsque la Tunisie avait été mise au ban de la GAFI et donc de la communauté internationale, plane de nouveau après cette descente de la force publique.La CTAF est une institution clé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en Tunisie. Deux enjeux cruciaux pour la stabilité économique et la confiance des partenaires internationaux.
- Quid de l’impact sur la réputation internationale ?
L’arrestation d’une figure de premier plan dans une institution de régulation financière pourrait en effet détériorer l’image de la Tunisie à l’étranger. Il faut dire que la communication autour de l’affaire, voire-même l’absence d’une communication structurée, claire et cohérente, est désastreux pour le futur de cette cellule de renseignement financier de type administratif ! Car, faut-il le rappeler, la CTAF, qui travaille sur la base d’information confidentielles et d’intelligence parfois internationale, joue un rôle central dans la conformité de la Tunisie avec les standards internationaux en matière de transparence financière. Ainsi, le silence entourant l’objectif cette affaire pourrait ouvrir la porte grande ouverte aux spéculations : Si cette arrestation est liée à des actes de corruption ou de mauvaise gestion, cela pourrait miner la confiance des institutions internationales, telles que le GAFI (Groupe d’action financière) ou les investisseurs étrangers.
- L’ombre de réintégration sur les listes de surveillance
En 2020, la Tunisie a été retirée de la liste noire du GAFI. Ça n’a pas été une sinécure ! L’actuelle SG ; analyste à l’époque ; y a contribué. Ce qui lui a certainement valu d’accéder à a ce haut poste de responsabilité depuis mars 2023. Il faut dire que si la CTAF est présidée par le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie, son organe décisionnel demeure le Comité d’orientation.
En plus du Gouverneur, il est composé « d’un magistrat de troisième grade », « d’un expert représentant le ministère de l’intérieur », « d’un expert du ministère des finances, représentant la direction générale des douanes », « d’un expert représentant le conseil du marché financier », « d’un expert représentant le ministère chargé des télécommunications », « d’un expert représentant le Comité général des assurances », « d’un expert spécialisé en matière de lutte contre les infractions financières », « d’un expert représentant l’autorité de tutelle sur la micro finance », « d’un expert représentant l’instance chargée de la lutte contre la corruption », « d’un expert de la BCT, représentant la Direction générale du contrôle financier ». Tout ce beau monde est nommé par décret gouvernemental pour une durée de six ans avec renouvellement du tiers des membres une fois tous les deux ans !
Comprendre que les garde-fous sont nombreux, les filtres multiples et les précautions redoublées.
La sortie de la liste grise a été au prix d’efforts importants pour améliorer le cadre de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Si des dysfonctionnements majeurs au sein de la CTAF sont révélés, cela pourrait entraîner un retour de la Tunisie sur ces listes de surveillance.
- Le coût d’un non-Ctaf
Le résultat on ne le connais que très bien pour l’avoir vécu avec le Gouvernement Chahed : augmentation des coûts des transactions financières internationales pour les entreprises tunisiennes et détérioration des investissements étrangers. A l’époque, le Gouvernement, fautif comme l’histoire la bien démontré, avait mis toute la responsabilité sur le dos de la BCT et le Gouverneur d’époque, feu Chedli Ayari a dû démissionner. Est-ce un remake ? Peut-être faudrait-il désormais pour ceux qui voudraient que la Ctaf fasse l’enquêteur et le Parquet financier, qu’il change la loi, rattache la Ctaf à la Présidence ou au ministère de la juste et la doter de plus de moyens, pour qu’il ne soit pas encore obligé de présenter au gouverneur de la BCT, des informations et des sommes d’argent, dont il n’a pas connaissance !
Impact aussi, sur l’économie et les investissements. Comme en 2018, le climat des affaires pourrait être négativement impacté. Désormais, la crainte tourne autour d’une perception accrue de la corruption ou d’instabilité au sein des institutions de régulation. Cela pourrait dissuader des potentiels investisseurs qui exigent des garanties en termes de gouvernance et de stabilité avant de s’engager dans des projets économiques en Tunisie. Aussi, comme en 2018 l’accès à certains marchés financiers ou la signature d’accords avec des bailleurs de fonds internationaux pourrait également être retardé. Par une mauvaise gestion de la communication d’une affaire judiciaire classique, les autorités auraient-elles ouvert une boîte de pandore ?
- Confiance interne et réformes communiquées
Sur le plan national, cette arrestation pourrait affecter la perception qu’ont les Tunisiens de la capacité des institutions nationales à fonctionner de manière intègre et indépendante. Faut-il le rappeler que l’Instance en charge de la lutte contre la corruption est à l’arrêt. Que le président de celle en charge de la confiscation est en prison, comme d’ailleurs plusieurs premiers responsables d’institutions publiques, notamment les banques sans avoir encore été jugés.
Toutefois, si cette arrestation s’inscrit dans un cadre de lutte active contre la corruption et de renforcement de la transparence, elle pourrait renforcer l’engagement du pays à réformer son système financier et à améliorer la gouvernance publique. Faire les réformes et le faire savoir pour éclairer la lanterne des partenaires.
Aussi, dans un contexte politique délicat, cette arrestation pourrait exacerber les tensions internes. On le sait déjà, les services de la Ctaf sont à l’arrêt. Des bruits médiatiques évoquent l’audition d’une dizaine de ses cadres ou analystes. Dans quelles conditions ses derniers pourraient reprendre le travail ? Qui est assez inconscient pour accepter de rejoindre la CTAF avec les risques inhérents à la fonction ou au poste ?
Par ailleurs, cette arrestation pourrait surtout être utilisée par certains acteurs politiques pour fragiliser ou discréditer le gouvernement ou les institutions, la BCT en premier lieu. On a bien remarqué que des réseaux sociaux, où des boucles de discussions sur messagerie évoquaient même une grève des agents de la CTAF et de la BCT et même de blocage de certaines activités de cette dernière !
Cela pourrait conduire à une instabilité accrue, notamment si des soupçons d’ingérence politique sont soulevés dans cette affaire.