Un très grand nombre de citoyens tunisiens se reconnaitront certainement dans l’appel du chef du gouvernement tunisien, dimanche soir dans une nouvelle interview télévisée, pour une meilleure stabilité et sa stigmatisation de la nouvelle habitude politique d’un nouveau gouvernement tous les 15 à 18 mois. Beaucoup soutiendraient ainsi Youssef Chahed, non parce qu’il aurait le meilleur des gouvernements ou qu’il soit le meilleur des chefs de gouvernement, mais simplement pour éviter un «bis repetita» de tout un processus qui paralyse l’Etat, l’économie et les relations avec les donateurs et les pourvoyeurs de fonds. Il nous semble, pourtant, important de rappeler à Youssef Chahed de ne pas en abuser.

  • Le nouveau concept de «Plus de municipalité = de croissance» de Youssef chahed

Dimanche, lors d’une énième sortie médiatique, où on nous clamé LA nouvelle forte annonce en matière de lutte contre la corruption, dans un nouveau style de communication, le chef du gouvernement tunisien a défendu son petit bilan d’une petite croissance non créatrice d’emplois et où il a fait un lien, jusque-là inédit, entre augmentation du nombre des municipalités et croissance. Youssef Chahed se féliciterait-il des dépenses des futures municipalités, en tant que relais du développement local ? Il lui faudrait d’abord créer de la croissance autrement que par la consommation. «On pourrait plutôt établir une possible aggravation du déficit public avec la décentralisation, car la nouvelle Constitution leur donne le droit de réclamer à l’Etat d’éponger leurs dettes», selon un économiste qui a souhaité garder l’anonymat, alors qu’un autre, plus connu, nous a avoué n’y déceler aucun lien de causalité directe. Chahed défend les siens aussi, contre l’erreur de la liste des pays à haut risque de blanchiment d’argent, en en rejetant l’entière responsabilité sur le CTAF qui a pourtant apporté toutes les preuves que le gouvernement savait et n’a rien fait, et sans qu’aucun des deux journalistes ne le lui rappelle.

  • Les bonnes questions et les moins bonnes réponses

Il a aussi certes adopté une nouvelle attitude, peut-être un tantinet plus agressive, face à des journalistes qui posaient des «questions» fleuve, en leur coupant la parole pour mettre en phase lui-même les chiffres du premier mois de la nouvelle année. Ces chiffres sont pourtant relatifs au seul mois de janvier et ne sauraient donc être pris pour les indicateurs d’une tendance confirmée.

On s’attendait, par exemple, à ce que Youssef Chahed expliquât au peuple ce qui se passe à Gafsa où la production du phosphate est toujours arrêtée et comment il compte s’y prendre pour remettre les trains du phosphate sur les rails. RAS, c’est toujours par le dialogue qu’il compterait y arriver. Ce même dialogue qui perdure depuis 7 ans.

On attendait aussi à ce qu’il parlât au peuple dont il a la charge du réveil des démons du Kamour, qui risquerait de fermer de nouveau la vanne, déjà en mode goutte-à-goutte. Motus et bouche cousue. On s’attendait à ce qu’il dît au peuple qu’il s’était déjà mobilisé contre la hausse des prix, comment son gouvernement compte maîtriser une inflation dont les perspectives ne disent rien qui vaille. Motus et bouche cousue encore.

On aurait aimé l’entendre sur les promesses des projets qui avaient fait la réussite du Tunisia 2020 dont il s’était déclaré fier un certain temps, il se borne à parler de ceux qui font des promesses d’investissement pompeuses. On aurait aimé l’entendre parler, franchement, sur les dos d’âne qui tapissent sa route de chef de l’exécutif et montrer du doigt ceux qui les y ont mis. On aurait aimé beaucoup de choses. On n’a eu que peu de choses dans cette énième interview sans réelles nouvelles !

  • Pas de remaniement… pour l’instant et ledit gros dossier de corruption de la BFT

En fait, il semble que toute cette interview, qui, paraît-il, a définitivement mis au placard le mode de communication via les réseaux sociaux, ait été faite dans deux objectifs essentiels. D’abord, annoncer à demi-mots qu’il n’y aura pas, pour l’instant, de remaniement ministériel. Une déclaration dont l’objectif serait de répondre à ceux qui croient toujours que c’est le «président de l’UGTT», comme en a fait le lapsus un des journalistes au cours de l’interview, qui commande. Ensuite, relancer sa guerre contre la corruption par l’annonce d’un nouveau gros dossier. Celui de la BFT (Banque franco-tunisienne), qui n’en est en fait pas un. Ce dossier traînait déjà depuis 1981, bien avant Zine El Abidine Ben Ali. Sa très mauvaise situation financière n’est pas une nouveauté non plus. Dans ce nouveau dossier de corruption, Youssef Chahed a évité de parler dans le détail de ce que tout le monde connait et qui est relatif au différend de l’Etat tunisien avec la société ABCI de l’homme d’affaires Majid Bouden, ainsi que le pendant proprement tunisien qui concerne un ancien ministre de la Troïka. Il focalise plutôt sur le volet mauvaise gestion et mise en banqueroute de la banque. Les responsabilités dans cette affaire sont très compliquées et concerneraient des personnalités, dont certaines sont décédées depuis quelques années. Chahed se limite à dire que le dossier est instruit et entre les mains de la justice.

  • La guerre contre la corruption, comme une cuirasse pour durer

Chahed a donc parlé. Mais il n’a que peu ou prou dit. On se demanderait presque si l’annonce de ce «nouveau dossier» de corruption ne serait qu’une nouvelle tentative de faire le buzz politique alors que l’effet du dossier Chafik Jarraya, qui s’enlise, s’effrite et son taux de popularité aussi. «Si la guerre contre la corruption s’arrêtait, une grande partie des problèmes de ce gouvernement disparaîtraient». La citation est de Youssef Chahed, mais comme un couteau à double tranchant. Un décryptage politicien lui donnerait raison, lorsqu’on sait l’interpénétration entre argent et politique depuis 2011 et les pressions de tout le monde sur tout le monde, pour ne pas lever certains lièvres et dépoussiérer certains dossiers.

Il se trouve, cependant, que les problèmes de l’actuel gouvernement ne proviennent pas que de son environnement politique. C’est aussi la disparition de la notion de l’autorité de l’Etat que tous les gouvernements ont évité de restaurer. C’est aussi un enlisement du budget de l’Etat dans les dépenses qu’aucun gouvernement n’a su ou pu endiguer pour redresser les équilibres financiers globaux. C’est encore une suite de gouvernements qui n’ont pas su ni pu changer de schéma de développement et basculent depuis 7 ans entre l’Etat régulateur et l’Etat providence. C’est aussi d’autres niches de corruption que les gouvernements successifs évitent toujours comme on éviterait un nid de guêpes, ceux de l’évasion fiscale, de la justice, de la douane et des forces de sécurité.

C’est devant tout cela qu’on comprendrait que Youssef Chahed craigne que s’arrête la guerre contre la corruption, quitte à en égrener les dossiers, pour s’en faire une cuirasse contre toute attaque politique. Dimanche dernier, Youssef Chahed a été comme l’oiseau qui chantait et son aile fait les chœurs. Un chant loin d’être mélodieux !

Khaled Boumiza

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