AccueilLa UNEEnnahdha traverse une «Nakba» qui plombe sa renaissance

Ennahdha traverse une «Nakba» qui plombe sa renaissance

A peine le parti islamiste tunisien Ennahdha commençait-il à se relever de la raclée du dernier vote contre son gouvernement de Habib Jemli à l’ARP qu’il se retrouve sous les feux croisés de la critique, suite à la visite privée de Rached Ghannouchi en Turquie. Une visite, programmée et autorisée par le chef de l’Etat, diront ses proches, mais dont le timing (au lendemain de l’échec de Jemli) et le contenu (féliciter Erdogan pour la nouvelle voiture turque), ont fait beaucoup polémique. Une polémique également créée par la nomination, par Ghannouchi de son propre chef de cabinet avec titre et avantages de ministre.

Et sitôt le feu de ces polémiques circonscrit par un parti devenu pompier-pyromane, Ennahdha se retrouve de nouveau sous les feux des projecteurs, à cause de la de démission de Hichem Laaridh, fils d’Ali Larayedh, et du jeune membre de la Choura Zied Boumakhla, qui s’affichait avec le drapeau turque dans son bureau.

  • La jeunesse quitte le navire

Le 11 janvier, au lendemain de la Nakba à l’ARP, Laaridh écrivait en guise de reproche indirect au guide spirituel de son parti pour ne pas avoir réussi à faire passer Jemli, poulain d’Ennahdha, que «la volonté de destruction et les complexes du tyran et son obsession du pouvoir ont eu raison de la volonté de construction et de l’intérêt du pays». Sur une radio privée, son père Ali confirmera que son fils était «insatisfait depuis un certain temps». Sur une autre radio, Mohamed Ben Salem disait que «nous avions déjà attiré l’attention sur l’existence de tensions et de problèmes au sein du parti, et qui n’ont malheureusement pas été traités»

Quelques jours après cette accusation indirecte à Ghannouchi, qui dénotait d’une large fissure au sein du parti islamiste, entre la génération des pères fondateurs et celle des jeunes loups de la politique, le fils du vice-président d’Ennahdha franchit le pas et quitte le parti des islamistes tunisiens. Il sera vite suivi par l‘autre jeune loup, Zied Boumakhla, qui préfère ne rien dévoiler des raisons de sa démission d’Ennahdha. Le 10 janvier 2020 aussi sur sa page fb, il prédisait «5 années difficiles, sauf miséricorde divine» pour Ennahdha. Manifestement, la jeunesse d’Ennahdha quitte le navire, le timonier se préoccupant plus du perchoir que de l’avenir de ses propres ouailles, et le navire aux mains d’un clergé islamiste vieillissant et plus intéressé par le politique que par les perspectives du parti.

  • Avant, il y avait eu Laadhari et après peut-être Mekki qui ne démentait pas encore

Ce ne sont certes que deux démissions, et pas de gros calibres du parti, mais elles avaient été déjà précédées par celle de Zied Laadhari de son poste de SG d’Ennahdha. Publiquement, cette figure de proue du parti islamiste tunisien, et l’une de ses rares têtes bien faites, participera à la chute du gouvernement Jemli, en annonçant à l’ARP qu’il ne lui donnera pas sa confiance. Le schisme devient ainsi une réalité et les fissures un gros souci.

Des rumeurs circulent par ailleurs sur une possible démission, celle d’Abdellatif Mekki aussi. Sur sa page des réseaux sociaux, il en pose lui-même la question, laissant courir la rumeur, sans pour autant officiellement la démentir. Mekki est généralement connu pour être l’un des adversaires d’un Rached qui a vécu, ce mercredi 15 janvier 2020 à l’ARP, une dure journée face à l’élue Abir Moussi, déterminée à passer une motion de censure contre lui.

Il y a, peut-être, trop de raccourcis dans cette micro-analyse de la vie interne d’Ennahdha. Il n’en demeure cependant pas moins vrai que le parti islamiste tunisien connaît, depuis les dernières municipales de 2019, une sorte de débâcle et de défaite (نكبة) électorale. Sa base électorale faiblit et se rétrécit d’année en année. Sa présence au sein du pouvoir législatif diminue en nombre, d’une législature à l’autre. En 2011, le parti avait 1,501.320 million de voix. En 2014, il n’en avait plus que 974.034, et en 2019 guère plus que 561.132 voix. Lors des municipales, il ne remportait que 517.234 suffrages. Le vivier électoral d’Ennahdha est sur un trend baissier qui se confirme. Sa jeunesse le voit et quitte le navire.

  • L’oiseau bleu vire au rouge

Le parti des islamistes tunisiens avait pris la tête de l’Exécutif à deux reprises, et avait fini par en démissionner après les échecs successifs des gouvernements de Hamadi Jbali et d’Ali Larayedh. Le 10 janvier 2020, il échouait lamentablement (72 voix pour et 134 contre) à reprendre l’Exécutif et voyait s’évaporer son rêve de reprendre le pouvoir par les deux branches, exécutive et législative.

Officiellement coupée de la confrérie des «Frères Musulmans», l’aile politique d’Ennahdha est pratiquement amputée d’une bonne partie de sa base et se retrouve avec une seule aile tenue d’une main de fer gantée de velours, entre les mains d’un leader vieillissant. Le phénix qui renaissait de ses cendres en 2011, devient cormoran aptère, une espèce désormais menacée d’extinction, même en Tunisie, le dernier bastion arabe de la démocratie, entouré de foyers de tensions et oublié par les faiseurs de solutions à l’échelle internationale.

Manifestement, les ailes de l’oiseau bleu qui voulait couver tous les œufs, même ceux d’autres congénères, brûlent et n’entourent même plus toute la frange islamiste de la Tunisie. Son étoile rouge vacille, et ses oisillons quittent le nid, peut-être pour aller frayer ailleurs.

«Beaucoup l’espèrent, mais il est, à mon sens, encore très tôt pour conclure à la fin de la présence politique d’Ennahdha. Il est même judicieux de se poser la question de savoir si une telle disparition serait une bonne chose pour un pays qui n’a pas terminé sa transition politique et où la révolution est encore inachevée pour certains», commente un politologue qui requiert l’anonymat. La question aussi, selon un observateur et analyste, est de savoir s’il n’est pas préférable de faire de telle sorte qu’Ennahdha reste, mais dans les proportions qui n’en feront pas un décideur politique !

En attendant, c’est le provisoire qui dure au gouvernement de gestion des affaires courantes. L’appel à manifestation pour le poste de chef de gouvernement lancé par Kais Saïed n’a pas encore publié de short-list, et il se pourrait que le provisoire dure jusqu’à de prochaines législatives. Les bailleurs de fonds d’une Tunisie qui n’a d’autre choix que de s’endetter encore, attendent aussi pour savoir avec qui discuter et à quelle sauce ils mangeront la 1ère démocratie du monde arabe !

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