C’est désormais chose sûre, et même confirmée par le chef du gouvernement, ce dernier a un véritable problème de communication. Youssef Chahed ne parle pas lorsqu’il le faut et inter-réagit très peu avec une scène politique bouillonnante et une conjoncture changeante.
Et lorsqu’il décide de le faire, soit il le fait mal, soit il vous fait regretter d’avoir perdu tant de temps à l’attendre pour l’entendre ne rien dire. C’est le cas de sa dernière interview-fleuve sur la Wataniya 1.
Une sortie qui aura été un non-évènement et qui n’aura permis qu’à raviver, même s’il ne le voulait pas ainsi, une querelle avec une personnalité devenue OPNI (Objet politique non identifiable) depuis la disparition de son parrain et de lui permettre même de réapparaitre sur les réseaux sociaux. Youssef Chahed en deviendra presque, malgré son jeune âge, une météorite en voie de disparition.
- Un pathétique «Vivement dimanche»
Une interview ne s’improvise pas et la dernière était loin d’être professionnellement bien préparée. Une interview derrière le micro ne se conduit pas non plus comme une interview face caméra. Deux autres éléments qui ont participé à faire de cette nouvelle sortie médiatique, enregistrée, du chef du gouvernement, après un silence de plusieurs mois, un véritable bide de communication et un non-évènement politique.
On ne sait pas si c’était pour le Teasing, mais la question, la plus actuelle, celle que ses partisans et ses concurrents attendaient, celle de savoir s’il se présentait ou non aux présidentielles, n’a été posée qu’en tout dernier lieu et expédiée quelques secondes avant la fin de l’interview supplice. Sachant qu’il n’y répondrait pas, elle aurait pourtant dû être utilisée comme lancement d’un petit débat sur la situation économique, financière et sécuritaire qui aurait pu être informatif et intéressant.
Au lieu de cela, les deux animateurs ont un peu trop fait dans la nostalgie, préférant revenir sur les obsèques de l’ancien président, fiers de leur jeu de mots sur «Youssef le témoin qui ne voit rien» et avec une question longue d’une minute pour l’inviter enfin à commenter ses propres commentaires, comme si on voulait donner à Chahed l’occasion de faire son laïus sur le sujet. Et ce sera un ennuyeux récit, détaillé, de faits déjà vus et connus, comme si on voulait prolonger le deuil.
Les animateurs passeront encore trop de temps à essayer d’arracher au chef de gouvernement un mea-culpa et des regrets, comme s’ils voulaient qu’il rattrape la cohorte des pleureuses sur tous les plateaux TV. Youssef Chahed lui n’avait de cesse que de répéter (3 fois au fait) que le jeune dirigeant qu’il était faisait l’objet d’une campagne acharnée de la part de l’ancienne génération.
On finira (Ouf !) par lui faire «avouer» qu’il s’était déjà, depuis le 20 mars 2019, réconcilié avec le défunt. Un pathétique «Vivement dimanche» sans Michel Drucker et loin, très loin, de ce qu’attendait la population en ce jeudi 1er août. Mais peut-être que c’était justement ce message de réconciliation avec BCE que voulait transmettre Chahed à la base électorale de Nida pour la rallier à Tahia «dans le souci d’unifier le rang démocrate», comme le voudrait BCE.
Les animateurs de l’émission lui donneront même, comme si c’était entendu, l’opportunité de répondre à un journal étranger et Chahed ne s’en privera pas en nommant Jeune Afrique. Et de nouveau se plaindre des attaques dont il fait l’objet. Les animateurs n’étaient en tout cas pas dans cette démarche, ils revenaient à la charge en rabâchant leurs propos, pour évoquer de nouveau les tenants et les aboutissants de l’absence d’unité du rang des démocrates et de la dispute avec le fils de feu le chef de l’Etat.
On apprendra, au tournant, cette lapalissade de fait : des amendements du code électoral qui resteront désormais lettre morte. Au passage, et comme un regret non avoué, Chahed sortira une dernière salve sur le B3 et le paiement des impôts qui ne seront plus exigés dans ce trop de démocratie des prochaines élections, en jetant en passant le doute sur les vraies raisons de la non-promulgation des amendements par l’ancien chef d’Etat, en la qualifiant d’énigme.
- Une Interview-machine à laver et d’essorage
Et de nouveau la perche est tendue au chef du gouvernement, pour se laver des accusations d’utiliser la guerre contre la corruption, pour régler ses comptes avec ses adversaires et concurrents. Et on apprendra, au passage, que la justice a pu trancher dans plus de 560 affaires entre 2017 et 2018, contre 250 affaires seulement entre 2015 et 2016. Ou encore d’utiliser ses pouvoirs au gouvernement pour créer son propre parti politique. Et Chahed de repartir sur la théorie du complot contre lui et de glisser au passage qu’«on ne sait pas comment serait l’équation lors des prochaines élections et l’état des centristes et des démocrates sans Tahia Tounes». Une création dont il dira qu’elle était une nécessité. Une manière sûrement de donner du poids à son parti. Presqu’un appel à scander «Tahia Tounes».
On ira même jusqu’à le pousser à parler de l’identité de son parti, presque de son projet pour les prochaines législatives, «l’éducation, la santé, l’administration et la femme» et de présenter Tahia comme une extension de la révolution et non la contre-révolution. Et c’était à la limite de l’attentat au silence électoral.
On lui tendra aussi la perche pour se disculper d’être sous l’emprise d’Ennahdha. Et l’occasion lui est ainsi donnée pour prendre ses distances en rappelant qu’il a des divergences avec le parti islamiste tunisien, que les élections ont apporté et qui était au gouvernement du temps même de son prédécesseur Habib Essid, et qu’avec 4 ministres on n’est pas le gouvernement d’Ennahdha. Et de repartir encore sur la victimisation, en affirmant que toutes ces accusations n’ont pour but que de faire tomber Yousef Chahed «dont la réussite n’a pas plu à l’ancienne génération», dit-il, se plaçant victime d’un conflit de génération.
Interview-Javel aussi menée tout de même de manière intelligente pour ne pas faire endosser complètement aux animateurs les habits de nettoyeurs ou de blanchisseurs, lorsque les animateurs abordent le volet économique. Et Youssef Chahed de s’étaler sur son bilan économique, en s’attardant sur l’amélioration du déficit budgétaire, revenu de 7,4 % en aout 2016 à 3,9 % sous son mandat, promettant qu’il sera à 3 % lors du prochain budget. Il assurera même qu’«on est désormais loin du spectre de la banqueroute».
Il rappelle sa promesse des indicateurs qui vireront au vert, dès 2020 : «je pense aujourd’hui qu’il y a des indicateurs qui s’acheminent vers le vert», citant le tourisme et la valeur du dinar. Les animateurs oublieront de lui opposer qu’il avait aussi promis cela pour 2019. On lui oppose certes que l’endettement a grimpé à 80 % du PIB. Il promettra, sans discussion, qu’il retombera dès cette année, et même l’inflation. Et de conclure qu’«on a évité le scénario du pire».
Il aurait fallu un Ezzeddine Saidane pour causer économie et finance avec le chef du gouvernement et espérer une vraie discussion sur le bilan économique et financier de Youssef Chahed. Mais ça c’est le choix de l’équipe de communication du chef du gouvernement, des compétences qui discuteront avec lui de sujets aussi moins pointus que la politique et les «on croit savoir» ou les «il se dit» où un Fayçal Tebbini aurait amplement suffi.
Avis totalement partagé sur le contenu creux de cet échange en dessous de la barre zéro. Ni les questions plus peoples que politiques, ni les pseudos réponses alambiquées ne sont à la hauteur d’un chef de gouvernement.
Impossible d’aller au bout la zapette a fonctionné!
Grosse déception.