Les avocats, on l’a vu, s’activent pour que la levée du secret professionnel ne passe pas. Ils ont même remporté une manche dans cette bataille, en obtenant que le fameux article 36 de la Loi de finances 2019 soit retoqué par l’Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi. Et pour la suite ils peuvent compter sur le président de la République, Béji Caïd Essebsi (BCE), lui-même avocat dans une vie antérieure et qui n’a pas caché son soutien. Jusqu’où ira-t-il ? Mystère, car cette affaire a aussi des relents de combat politique d’arrière-garde contre le chef du gouvernement, Youssef Chahed, que cette affaire embête forcément. Et tout ce qui peut embêter Chahed est bon à prendre pour BCE depuis que le chef du gouvernement a eu « l’outrecuidance », aux yeux du chef de l’Etat, de s’affranchir des liens qui les unissaient, de mener sa barque tout seul, de rudoyer le fils du président de la République et de faire passer en force sa 3ème équipe gouvernementale. Mais pendant que les avocats, et BCE, regardent leurs nombrils – mais ils ne sont pas les seuls, qu’ils se rassurent ! -, ils ont perdu de vue le fait que leur exigence a un coût pour la Tunisie, très élevé, trop. Et c’est Samir Brahimi, ancien président de Gafi Mena et membre du Centre international Hédi Nouira de prospective et d’études sur le développement (Ciped), qui le rappelle à ce beau monde, et réveille au passage tous ceux qui ne s’intéressaient pas à ce bras de fer entre les avocats – et accessoirement BCE – et Chahed.

A la question de savoir ce qui a été fait pour s’extirper de la liste noire du Groupe d’action financière (Gafi), Brahimi dit ceci ce mardi 8 janvier 2019, sur Express FM. «Nous sommes actuellement dans un « public statement », réservé aux pays et régions dont les systèmes présentent des lacunes stratégiques, sur le plan de la conformité technique et dans l’application du système. Le Gafi contrairement à l’Union européenne n’a plus de liste noire, il dispose d’une liste de pays où ce type de système n’existe presque pas, où les considérations politiques pèsent lourd, et on y trouve la Corée du Nord et l’Iran; il y a une seconde liste qui comporte les nations dont les systèmes sont handicapés par des défaillances stratégiques».
Quand on est sur cette liste, on est considéré comme un pays qui transgresse les normes internationales et qui ne donne pas des garanties de transparence.

Des précisions de taille !

Brahimi a indiqué que les lacunes consignées concernent les professions non-financières (les métiers juridiques et de comptabilité, les agences immobilières, les casinos…), les soupçon formulés qui sont soumis à la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) mais qui ne sont pas traités dans les délais, les problèmes posés par les associations à but non lucratif et la mise en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité ayant trait aux listes des terroristes.
Il a ajouté que les avocats sont parmi les premiers concernés et doivent instaurer des normes anti-blanchiment et s’y conformer, et doivent être en première ligne pour la dénonciation du blanchiment d’argent et le combat contre le terrorisme.
«Si la Tunisie n’est pas irréprochable sur cet aspect, il est très probable qu’elle reste dans cette seconde liste du Gafi. Les avocats en refusant de se soumettre à la loi s’affichent comme des « gatekeepers » (passages obligés), donc tout individu qui veut blanchir de l’argent se protège en cooptant un avocat« .

L’ancien président de Gafi Mena a dit ceci en direction des avocats, des comptables et de leurs soutiens : « Il faut que tout le monde comprenne que les informations que l’avocat reçoit de son client et au cours du traitement de l’affaire ne sont pas concernées par l’obligation de déclaration, qu’elles soient livrées avant, après ou durant une médiation, une conciliation, une intermédiation, etc. Mais pour ceux qui rédigent des contrats pour des transferts de propriétés, de fonds de commerce, qui procèdent à des montages juridiques pour leurs clients, et qui sont considérés comme des métiers qui sortent de l’ordinaire, là les obligations de due diligence et déclaration de soupçon s’imposent», a-t-il indiqué.

Enfin Brahimi est revenu sur le contenu des griefs formulés par l’Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, et qui justifient que l’article 36 soit recalé. Il a dit qu’on reproche au texte du gouvernement de ne pas être assez précis et qu’on lui demande juste de le reformuler. Sauf que la reformulation de l’article pourrait faire sauter les garanties qu’exige le Gafi, et donc prolonger le cauchemar de la Tunisie et ses conséquences, alors que le pays avait fait, dit-on, des progrès sur le chemin de la transparence. Reste maintenant à savoir si cette alerte secouera les principaux concernés, les avocats et leur « protecteur », le chef de l’Etat. Rien n’est moins sûr dans un pays où la raison a tendance à prendre la poudre d’escampette, et encore plus depuis que les effluves de la joute électorale de cette année montent au nez de nos décideurs politiques.

S.L.

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