Une délégation de businessmen s’est rendue en Arabie saoudite les 21 et 22 avril 2019, sous la houlette du ministre du Commerce, Omar Béhi. Pas moins de 25 hommes d’affaires, de moult secteurs, étaient du voyage, c’est pas peu ! Une affaire pourtant qui n’a pas fait grand bruit dans les médias, et pour cause : les Tunisiens, à part des promesses et des voeux pieux, n’ont rien ramené. Pour avoir droit aux gros titres, il en faut beaucoup plus. La Tunisie attendait beaucoup de ce déplacement, déception à l’arrivée, même si la diplomatie et le pari sur l’avenir empêchent les autorités tunisiennes de dire les choses comme nous les disons. Pourtant même le ministre saoudien du Commerce et de l’Investissement n’a pas caché le fait qu’il y ait, tout de même, un gros problème entre Tunis et Riyad, et a émis le souhait d’avoir « des solutions aux obstacles entravant l’accès des services et des investissements entre les deux pays frères ». Mais le fait n’est pas nouveau. Quand le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, a débarqué en Tunisie, la seule qui a osé l’accueillir alors qu’il était vilipendé un peu partout dans le monde entier (à cause de l’affaire Khashoggi), il n’avait pas lâché les billets non plus. Bon, les choses se sont un peu mieux passées quand le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a visité le prince saoudien, mais on est loin du niveau du potentiel entre les deux pays. Et les raisons de cette panne il faut les chercher ailleurs : Le printemps arabe…
La fièvre révolutionnaire tunisienne avait littéralement terrorisé les chancelleries arabes, et elles avaient de bonnes raisons de l’être vu la manière avec laquelle ils administrent leurs citoyens : le bâton pour la population, la carotte pour s’acheter le silence et la collaboration des élites. Et c’est ainsi dans tout le monde arabe, ou presque. Alors quand ça s’agite du côté de la Tunisie avec une contamination possible dans tous ces pays où les droits des citoyens sont confisqués, c’est forcément une mauvaise nouvelle pour les dirigeants arabes. Mais là vu que le printemps arabe a été stoppé net, partout sauf en Tunisie (la Libye se débat dans une crise sanglante sans fin; en Syrie le maitre des lieux a été requinqué par la Russie et il est même question de le réintégrer dans la Ligue arabe; l’Egype est retournée sous le giron d’un « dictateur éclairé » qui file allègrement vers la présidence à vie…), les leaders arabes ont quelques bonnes raisons de jubiler. Et si en plus cette « petite » et insolente Tunisie, qui leur a donné tant de frayeurs et des salves de leçons de démocratie, va mal, politiquement et économiquement, et sollicite ces mêmes dirigeants arabes peu fréquentables, ils ne boudent pas leur plaisir !
La démocratie et la prospérité, surtout pas !
La Tunisie a développé un certain art dans sa capacité à soutirer de l’argent à ses bailleurs, le FMI en sait quelque chose. Mais là en l’occurrence pour les pays « amis et frère » du Golfe, il ne s’agit point de demander l’aumône, mais des investissements, ce que la Tunisie est en droit d’espérer vu le niveau de ses compétences et les opportunités qu’elle offre. Et les Tunisiens se démènent pour convaincre. ça marche pas, ou si peu. Tout le monde se souvient du tour de passe-passe du Qatar lors de la Conférence sur l’investissement, en 2016, où le pactole qui avait été annoncé avait finalement servi à rembourser des dettes, contractées avec le même Qatar. Bref, un montage financier un peu compliqué où le bénéfice pour la Tunisie a été infime. Idem pour le Sommet arabe à Tunis, où la fête fut belle, avec son lot d’amabilités, de belles phrases, de formules compassées, de démonstrations de compassion, mais rien à se mettre sous la dent, ou presque. La cause semble être entendue pour les pays arabes les plus riches : Aider la Tunisie oui, mais pas trop. Juste de quoi survivre, vivoter. Car si jamais le berceau du défunt printemps arabe arrivait à avoir et la démocratie et la réussite économique, ce ne serait pas bon pour les petites affaires des leaders arabes. Si ça marche en Tunisie, les citoyens de tout le monde arabe pourraient avoir une furieuse envie d’adopter le modèle, et ça c’est la dernière que souhaitent leurs dirigeants.
Vous me direz aussi qu’investir dans un pays – la Tunisie – qui rechigne à retourner au boulot depuis la dite Révolution, qui fait grève partout et tout le temps, et dont l’avenir politique est pour le moins incertain n’est pas non plus une sinécure. Oui, certes, mais la France le sait mieux que tout le monde et pourtant elle investit ! L’Italie aussi investit en Tunisie et y a de grands projets, l’Espagne également… Les pays arabes « amis et frères » pourraient et devraient en faire de même, en principe ! Mais si ces mêmes nations étaient capables de faire preuve de compassion, il y a longtemps que les Palestiniens auraient eu leur Etat. Il aurait suffi, il y a des décennies, de geler la production de pétrole pour quelques jours, histoire de tordre le bras au grand-frère américain d’Israël, pour que toutes les concessions soient possibles. Et pour les pays arabes ça n’aurait été qu’un tout petit sacrifice dans un train de vie fastueux. Ce n’est jamais arrivé, et la Palestine tend toujours la main à ses frères arabes pour quelques sous, pour une subsistance de plus en plus compliquée. La Tunisie aussi attend toujours le grand soir, de la part de ses « frères arabes », qui ne viendra jamais.