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Tunisie : Pas un mot sur les problèmes de Macron, et pourtant…

Se focaliser sur la partie vide du verre, la partie pleine. C’est toute la question après l’honneur qu’a fait à la Tunisie le président français, Emmanuel Macron, de lui réserver sa toute première visite d’Etat dans le monde arabe. Mais, forcément, après l’euphorie de ce séjour coloré, rythmé au point de donner le tournis, vie le temps du bilan. Le premier à sortir du bois est l’économiste et ancien ministre des Finances Hakim Ben Hammouda. Il a cassé un brin l’ambiance en assénant que les retombées du voyage du chef de l’Etat français ne sont pas à la hauteur de la difficile conjoncture et des besoins de l’économie tunisienne. L’expert a certes osé y aller de sa fausse note, dans un concert d’exaltation, mais il est loin d’être à le seul à tirer cette conclusion, les autres râlent derrière les murs, sans doute pour ne froisser celui qui avait l’air si ravi de fouler pour la deuxième fois le sol tunisien. Et puis ce n’est jamais bon de fâcher son premier partenaire économique et premier investisseur, quoi qu’on ait à lui reprocher.

Quand le chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed, a dit à la clôture du Forum économique Tunisie-France que son pays attend beaucoup de son meilleur « ami », il faut comprendre par là qu’il attend de Paris plus que ce qu’il fait en ce moment. Et avant lui le ministre du Développement, Zied Ladhari, a dit à la tribune, et pas sur le ton de la plaisanterie, que la France ne comprend pas suffisamment les difficultés par lesquelles passe la Tunisie et la complexité de la transition en cours. Le message est on ne peut plus clair. Le souci c’est que Paris en fait déjà beaucoup, l’Agence Française de Développement (AFD) s’est engagée à hauteur de 1,2 milliard d’euros d’investissements en Tunisie entre 2016 et 2020. Elle n’est pas en mesure de donner plus, pour moult raisons…

Macron aussi a ses problèmes

« La France est de retour« . Cette géniale invention de Macron est devenue le slogan de tous ses collaborateurs, et même un totem. Mais ce qui lui donne de la force c’est que c’est aussi une réalité, palpable en Europe, en Chine, en Afrique, où la diplomatie économique de l’ancienne puissance coloniale avait fini par s’émousser, par manquer de percussion et devenir complètement aphone au point de se faire damer le pion par l’Italie, sans parler des autres acteurs sur le continent africain (les Emirats arabes unis, la Chine, la Turquie, le Maroc…). Le 1er février 2018, au palais des Congrès de Tunis, lors du Forum Tunisie-France, nous avons pu toucher du doigt cette France de « retour« . Il y avait de l’électricité dans l’air, une surexcitation, des hôtesses partout, à l’affut des moindres demandes des participants. Mais l’agitation avait commencé la veille du Forum, avec des relances, au téléphone (à la presse, aux invités), pour s’assurer que Chahed et Macron feraient salle comble. Cette énergie, ce dynamisme, la France les avaient perdus. Et c’est justement ce que le candidat Macron avait promis aux électeurs de restaurer. C’est ce qui lui avait permis de coiffer au poteau sa rivale du deuxième tour, Marine Le Pen, épargnant à l’Hexagone, mais pas qu’elle (à la Tunisie aussi, au Maroc, à l’Algérie, à l’Europe… bref au monde entier) la dangereuse aventure avec une présidente d’extrême droite, dont on connait les envolées xénophobes, le penchant pour le protectionnisme économique, etc. Mais Macron n’avait pas promis que cela.

Le jeune président français a été élu dans un contexte très particulier. Il avait quitté le gouvernement de Manuel Valls, sous les quolibets et les railleries, surtout de ce dernier (ironie du sort : Valls lui a couru derrière pour avoir l’investiture de son mouvement aux législatives), parce qu’il était allé au bout de ce qu’il pouvait faire pour bousculer la France, en déverrouillant notamment un marché du travail corseté par un droit du travail trop protecteur pour les salariés au point d’effrayer les investisseurs. Macron avait entrepris ce travail en proposant une réforme en profondeur du Code du travail, mais il n’avait pas tous les leviers (surtout un Parlement acquis à sa cause) pour avancer. Maintenant il les a. Mais la France n’avait pas que ça comme problèmes : L’Etat a pris de mauvaises habitudes en s’endettant plus que de raison (2232 milliards d’euros en septembre 2017, 99,2% du PIB !) ; en dépensant plus qu’il ne faut pour son train de vie, ses fonctionnaires (on se croirait en Tunisie !); en entretenant une administration trop lourde et qui fait dormir les dossiers, mêmes les plus importants (les démarches pour investir, un peu comme la Tunisie quoi) ; en tapant trop dans les poches des entrepreneurs, des riches (un impôt qualifié de confiscatoire qui fait fuir les grosses fortunes, donc les investisseurs) ; en s’accommodant d’un taux de chômage trop élevé par rapport aux bons élèves de l’Europe, 9,4% en décembre 2017 (autour de 3,5% en Allemagne, près de 4% en Angleterre…), etc. Chahed, qui a vécu et travaillé en France, ne pouvait pas ignorer ses problèmes et ses limites. De là à penser qu’il a mystifié les Tunisiens en jouant à celui qui veut en soutirer plus à Macron, il n’y a qu’un pas…

Pas droit à l’erreur, tous les deux

Macron s’est engagé à corriger toutes les anomalies citées plus haut. Puisqu’il a rendez-vous avec ses électeurs dans un plus de 4 ans – ça va passer très vite ! – et qu’il n’a pas envie de subir le même sort que François Hollande (son impopularité du fait de son incapacité à réformer la France lui a interdit de briguer un deuxième mandat), alors il est tenu de faire ce qu’il avait dit, et de dire ce qu’il fait. Et ses électeurs ne lui pardonneraient pas de prêcher en France l’orthodoxie dans la gestion des deniers publics et de faire le contraire à l’extérieur, même si c’est pour tirer d’affaire un pays « frère » (il a lui-même utilisé ce terme au Parlement tunisien). Durant sa campagne, Macron s’était engagé à mettre un terme à l’ère sombre de la France-Afrique, où des montants colossaux circulaient, et atterrissaient souvent dans les poches de dirigeants qui faisaient tout sauf dépenser pour le bien des populations et de l’économie. Dans le cas de la Tunisie, la France est dans une position attentiste ; elle attend que Chahed, pour le temps qui lui reste avant les élections de 2019, remette le pays au travail, qu’il aille au bout des réformes qu’il a promises pour relancer la machine économique. Mais la France attend aussi que la situation politique se décante en Tunisie, pour avoir une stabilité, un cap dans la durée. Et seules les prochaines élections nous le diront. Si Macron veut temporiser pour doubler d’ici 5 ans les investissements en Tunisie, lesquels devront être rentables, rappelons-le, c’est pour aussi pour avoir le temps de voir venir. Il a beau adorer le berceau du printemps arabe et son président, Beji Caid Essebsi, 7 chefs de gouvernement en 7 ans, ça ne peut pas faire du bien à un pays, surtout à son économie…

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