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Les constats, amers et alarmants, d’Abassi et les silences coupables de Chahed

Lorsque nous le rencontrions, le 19 février 2019 en réunion de préannonce de l’augmentation de 100 points de base du taux directeur, le gouverneur de la BCT savait déjà qu’on lui en fera porter, seul, toute la responsabilité et qu’on l’accusera même d’être à la solde du FMI.

La conduite de la politique monétaire se fait pourtant en fonction de la politique économique, mais dans deux entités différentes (BCT & Gouvernement), indépendantes jusqu’au déficit de coopération, mêmes si elles sont toutes les deux mues par le même souci de l’intérêt de l’Etat. Ce dernier cependant scruté sous deux angles différents, l’un froidement financier et l’autre «warmingly» politique.

Marouane Abassi s’attendait donc à être convoqué par les députés et leur a tout déballé : chiffres têtus, vision pour une sortie et des propositions, même si ce n’est nullement à lui de les traduire en mesures.

A l’ARP, l’une des députés résumera les tenants et les aboutissants de cette séance de questions, lorsqu’elle dira à l’adresse du Gouverneur de la BCT qui leur distribuait un document et des graphiques, que ce n’est que perte d’encre et de papier, les présents ayant déjà les leurs, écrits ailleurs et juste faits pour parler devant la commission et s’en aller. Ils s’attendaient à ce qu’Abassi déballe et il l’a fait, mais sans tomber dans le travers des jeux politiques. Il les priera d’ailleurs, au moins 3 fois avant de quitter la salle, de «laisser la BCT en dehors de vos querelles politiques».

  • Des chiffres qui laissent les dép(u)ités indifférents …

Essayant d’expliquer à des députés autistes, sauf à ce qui leur servirait d’arme contre le gouvernement, les causes profondes de son exercice d’équilibrisme, financier et funambule, de la hausse du coût du crédit pour endiguer l’inflation, le gouverneur de la BCT livre quelques chiffres de l’état de l’économie tunisienne.

Faible niveau de croissance économique, malgré sa petite croissance de 2018 qu’expliquent l’agriculture (+9,8 %) et les services (+3,3 %). Faible activité des industries exportatrices (IME, énergie et phosphate), ce qui impacte les équilibres extérieurs. Faible niveau d’investissement et d’épargne qui retombait de 21,1 % du PIB en 2010 à 9,5 % huit années plus tard. Faible niveau aussi des IDE et de l’investissement privé qui retombait de 6 points entre 2010 et 2018.

Explosion du déficit commercial (Fob et Cif), pour atteindre 19 Milliards DT, en hausse de 11 Milliards DT en 8 ans, avec des importations qui courent toujours plus vite que les exportations. Expansion du déficit énergétique, à fin 2018 pour atteindre 6,2 Milliards DT, notamment dû à la baisse de la production et aux hausses des prix. Baisse continue des ventes de phosphate et hausse du déficit de la balance alimentaire malgré son amélioration en 2018.

Selon les chiffres de la BCT (Lire ici un résumé de l’intervention de Marouane Abassi) à propos du déficit commercial, ce ne sont pas les produits de consommation qui consomment le plus de devises en importation, ni même les produits alimentaires, mais l’importation des produits de l’énergie, les matières premières et semi-produits, ainsi que les produits d’équipement. Des chiffres donc taillés pour détruire cette croyance populaire et aussi parlementaire selon laquelle il suffirait d’arrêter d’importer les produits de consommation pour que la balance commerciale s’équilibre.

Plus effrayant, le taux d’endettement et l’intérêt de la dette qui passait de 39,3 % en 2011 à 72,3 % en 2018, bouffant ainsi 11,6 % de tout le PIB du pays. S’endetter c’est bien, mais sans plus de production ça craint ; comme refusent de le croire des députés qui ne s’y connaissent presqu’en rien, sauf en «boulitique».

De fait, le déficit courant s’était établi l’année dernière à 11,843 Milliards DT. Le Dinar tunisien en perd ainsi sa valeur et dégraisse de nouveau. Encore plus effrayant, dans l’insouciance des parlementaires, lorsque Marouane Abbassi démontre devant eux et contrairement à l’optimisme gouvernemental que la pression inflationniste va se poursuivre en 2019 et plus et que le Dinar n’aura d’autre choix que de faillir encore. Le pire est donc à venir !

Un lien aussi (déficit courant-Change) que ne comprendront pas non plus les députés, plus dépités par la perte en change lorsqu’ils voyagent aux frais de l’ARP, que par les réserves. Ils sont encore plus dépités lorsque le Gouverneur de la BCT leur répète qu’il préfère sauvegarder les réserves, que de les dépenser pour essayer de relever un Dinar, difficile à redresser à cause des difficultés structurelles de toute l’économie qu’il représente.

  • … et des lettres, non-recommandées, au gouvernement !

Tout cela n’est pas nouveau pour les députés dépités par le discours d’Abassi qu’aucun d’eux n’a pu ou su contrer, tant il était au-dessus de leurs petites préoccupations partisanes et populistes. Ils ne le croiront pas non plus lorsqu’il leur fait la démonstration du cercle vicieux, hausse de la demande, déficit courant, grignotage des réserves, pression sur le Dinar, hausse de l’inflation.

Tout aussi incrédules, les députés le resteront devant la démo par le graphique, du cercle tout aussi vicieux entre hausse de l’inflation et taux directeur, TMM, Tunibor et autres acronymes incompréhensibles pour un député néophyte en finance.

Un des députés, qui confond certainement BCT et Gouvernement, sortira par la suite que la BCT ne dispose d’aucune stratégie pour sortir de la crise. Marouane Abassi aurait-il débité deux pages de son discours sur cette stratégie pour rien ? Manifestement oui !

Encore une fois tout ce qu’a dit le Gouverneur de la BCT n’est pas nouveau. Le gouvernement (ministres et conseillers) aussi le sait. Sauf que c’est le Gouverneur de la BCT qui l’a dit et que c’est le Gouvernement qui l’avait tu. La politique a ses raisons que le sens de l’Etat et son intérêt supérieur ignorent. Mais chaque mot, chaque chiffre de l’intervention du Gouverneur était comme une lettre à la Poste mais sans le Recommandé, pour le gouvernement surtout.

Ce qui est sûr c’est que tous les mauvais chiffres, actuels et à venir, amèrement récités par Abassi devant l’ARP ne sont que le résultat d’une situation économique, tracée en amont, sans concertation avec les faiseurs de la politique monétaire. Faute de concertations, ce sont les députés qui font la conciliation et déplument ou refusent les projets de réformes. Un albatros dans une mer agitée, avec deux ailes aux mouvements non-coordonnés !

  • Le Front populaire bloque le PL sur le change et Nida bloque celui de l’urgence économique

Les députés aussi savent pourquoi la Tunisie en est arrivée là. Ils le savent, car certains d’entre eux sont la cause directe de cette situation catastrophique. Le député Karim Helali qui intervenait ce lundi dans l’émission «Tounes alyaoum» de Meryem Belkadhi affirmait que c’est le FP (Front Populaire dont un membre préside la commission financière de l’ARP) qui bloque le projet de loi sur l’amnistie de change, conçu pour pallier le manque de devises et de ressources financières en général et ramener les 4 Milliards DT aux circuits officiels. Le même Helali affirme que c’est Nidaa Tounes qui bloque l’examen par l’ARP de la loi sur l’urgence économique, conçue pour trouver une solution au manque d’investissements.

Et le Gouvernement dans tout cela ? Il fait ce qu’il peut, devant une ARP qui fait ce qu’elle veut. L’ARP, c’est une opposition qui dit clairement qu’il faut renvoyer Youssef Chahed et son gouvernement. C’est aussi les feux amis d’un partenaire au pouvoir qui a peur de son autre partenaire. C’est aussi la guerre entre les frères-ennemis et les deux têtes du pouvoir. Qui pourrait faire mieux dans ce genre de panier à crabes, qui plus est démocratique ? Personne ! Avec de la volonté et un plus de rigueur, le gouvernement aurait pu, par exemple, trouver une solution durable au problème du phosphate et ses grèves et au problème de la production pétrolière.

Il n’en demeure pas moins vrai, pour le Gouvernement, que faute de pouvoir taper fort sur la table pour faire passer les réformes qui permettront d’améliorer les choses, il aurait pu et dû communiquer sur son incapacité à faire mieux que ce qu’on lui veut. Prendre le peuple à témoin.

Mieux, dénoncer à cor et à cri ceux qui voudraient faire de la faillite de tout un Etat l’alibi pour remplacer ce Gouvernement et au besoin rendre les clés pour alerter sur l’imminence de la chute de tout un système, rendre à la politique un peu de sa décence et à l’Etat un peu de sa prestance. Le silence est toujours coupable !

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